Des chercheurs de la CGTNO publient une étude sur les effets en aval de la fonte du pergélisol

News Type: 
Articles du blogue

Des chercheurs de la Commission géologique des Territoires du Nord-Ouest (CGTNO) et du Centre de géomatique des Territoires du Nord-Ouest étudient l’augmentation récente des glissements de terrain attribuables à la fonte du pergélisol dans le Nord-Ouest du Canada.

En collaboration avec des partenaires universitaires et communautaires, l’équipe a montré que la hausse du nombre de glissements de terrain causés par la fonte du pergélisol a transformé, au cours des 20 dernières années, des milliers de petits cours d’eau d’amont : les glissements de terrain libèrent une grande quantité de sédiments dégelés qui sont acheminés en aval, où ils modifient l’environnement aquatique. L’étude a été publiée récemment dans The Cryosphere.

Dirigée par Steve Kokelj, expert en science du pergélisol au CGTNO, l’équipe de recherche a d’abord cartographié les côtes, les lacs et les cours d’eau exposés aux glissements de terrain. Elle a ensuite modélisé le mouvement vers l’aval des sédiments provenant des glissements de terrain, des réseaux fluviaux jusqu’à l’océan. Les résultats indiquent qu’une zone de drainage de l’Arctique d’un million de kilomètres carrés située dans le Nord-Ouest canadien est particulièrement sujette à la fonte du pergélisol. Ses rivières transporteront vers l’aval de plus en plus de sédiments, qui y modifieront la composition chimique et la qualité de l’eau.

 

Glissements dus au dégel et glissements de terrain sur le bord de la rivière Willow, à l’ouest d’Aklavik (août 2020). Ces perturbations des pentes touchent directement 116 km des 861 km du chenal de la rivière.

 

La collaboration de Jurjen van der Sluijs, expert en véhicules aériens sans pilote au Centre de géomatique des Territoires du Nord-Ouest, a permis à l’équipe d’utiliser l’imagerie haute résolution par drone pour modéliser les glissements de terrain en 3D afin d’en estimer la croissance au fil du temps. Elle a aussi pu évaluer la quantité de sédiments qu’ils déplacent. Ces nouvelles données sur les changements du paysage sont utiles pour la surveillance du pergélisol dans la région de Beaufort-Delta.

Dans cette région, le pergélisol se compose d’un grand volume de glace; le sol est solide tant qu’il demeure gelé. Or, le réchauffement du climat et l’augmentation de l’intensité des pluies font fondre la glace, ce qui déstabilise le sol et multiplie les perturbations des pentes, notamment les glissements de terrain nommés « glissements dus au dégel ».

Un glissement dû au dégel se produit lorsque l’érosion expose la glace de sol à l’énergie solaire, la faisant fondre. Les sédiments et l’eau ainsi libérés s’écoulent du haut de la paroi de l’effondrement, formant une boue saturée qui s’accumule sur la pente perturbée ou glisse vers le bas en un courant de débris pouvant dépasser un kilomètre de long. Ce phénomène peut persister plusieurs décennies et charrier, sous sa forme la plus grave, des millions de mètres cubes de matières.

 

Légende : Mégaglissement FM2 en septembre 2020. En 2018, sa superficie dépassait déjà d’un ordre de grandeur les autres perturbations du plateau Peel.

 

L’un des glissements dus au dégel étroitement surveillé par l’équipe se nomme FM2. Classé comme un mégaglissement, FM2 se trouve dans le plateau Peel, à environ un kilomètre de la route Dempster. Durant les 20 dernières années, il a déplacé six millions de mètres cubes de matières – environ quatre fois le volume du Centre Rogers de Toronto –, engendrant un courant de débris de plus de deux kilomètres.

Les glissements dus au dégel et les autres perturbations des pentes causées par la fonte du pergélisol peuvent entraîner d’importants effets sur les paysages et les écosystèmes en aval. En plus de déranger la végétation et de remodeler les pentes et les vallées, ils déversent une grande quantité de sédiments et de matières solubles dans les lacs et les rivières, modifiant la couleur et la qualité de l’eau, aggravant l’érosion côtière et créant un risque pour les infrastructures et les sites culturels.

L’équipe de recherche travaille à quantifier les effets potentiels de ces perturbations. Pour l’étude, elle a conçu des modèles servant à estimer le volume de matières relâché par les glissements dus au dégel. Elle a aussi examiné les réseaux hydrographiques pour comprendre comment les sédiments pourraient s’y déplacer dans les années à venir. Sa carte des réseaux fluviaux du Nord-Ouest canadien touchés par la fonte du pergélisol est la première du genre. Selon les auteurs, elle permet de mieux visualiser l’ampleur et l’étendue des effets potentiels en aval et oriente les futures activités de recherche.

 

La carte de l’équipe de recherche montre la densité des glissements de terrain et les effets cumulatifs, facilitant la visualisation de leur ampleur et de leur étendue dans le Nord-Ouest canadien.

 

La rivière Willow, qui rejoint le chenal Peel près d’Aklavik, intéresse particulièrement l’équipe. De 2007 à 2009, un afflux de matières provenant de perturbations en amont a détourné une partie de cette rivière, ce qui a mené au remplissage rapide d’un lac de 3,4 km².

 

Les glissements de terrain le long de la rivière Willow ont provoqué un afflux de sédiments dans le réseau hydrographique. Résultat : la rivière a changé de trajectoire et le lac Willow (montré ici en août 2020) s’est rempli de sédiments.

 

Selon Sarah Shakil, coauteure de l’étude et candidate au doctorat à l’Université de l’Alberta, les sédiments provenant de la fonte du pergélisol peuvent avoir un grand nombre de conséquences sur l’environnement, notamment l’émission de CO2 dans l’atmosphère, l’augmentation de la disponibilité de nutriments comme le phosphore et l’azote, et la libération de méthylmercure, une toxine nuisible qui se propage dans les réseaux alimentaires.

Il faut aussi souligner la particularité de l’étude : comme elle a été dirigée par des scientifiques établis dans le Nord, il a été possible de l’axer sur les préoccupations propres à la région et sur le renforcement des relations avec les utilisateurs des terres, les gouvernements du Nord et les organisations autochtones. D’après Steven Kokelj, son auteur principal, il était grand temps d’accroître la capacité scientifique en matière de pergélisol nordique, et de récents investissements ont déjà amélioré considérablement les collaborations visant à répondre aux changements du paysage attribuables au dégel.

 

Autres ressources :

Thaw-driven mass wasting couples slopes with downstream systems, and effects propagate through Arctic drainage networks